Sébastien Darrigrand (CECA) : « Il y a un bouleversement des modèles d’affaires » - Premium

Vous êtes à la tête du CECA depuis février dernier. Quels sont vos enjeux pour les mois à venir, votre feuille de route ? D’abord, nous avons engagé un important travail d’intelligence collective, avec l’ensemble de nos parties prenantes - nos clients en premier lieu - pour poser un diagnostic. Sur ce qui fonctionne, et sur les éléments à améliorer. Quels sont notamment leurs besoins, en matière d’accompagnement aux mutations, dans une période extrêmement contrainte ? Quels sont, justement, ces défis ? C’est tout cela que l’on est en train de poser, et qui nous permettra d’être meilleurs demain pour anticiper, d’être défricheurs de nouvelles approches pour accompagner les entreprises dans les changements qui s’annoncent. Quels sont ces changements sociétaux ? Il y a un bouleversement des modèles d’affaires, lié à l’évolution des ressources de la planète. Tout le monde s’accorde à dire que dans un monde aux ressources limitées, il faut repenser ces modèles, la façon dont on peut croître. Mais aussi, ce qu’on peut adresser dans nos modèles économiques - des éléments liés à la post-croissance, ou la décroissance, un sujet qui se pose à bon nombre d’entreprises.« Rendre les modèles plus soutenables »Il y a encore quelques années, le terme de décroissance était balayé d’un revers de main, presque considéré comme un gros mot. Pensez-vous que l’on évolue sur ce sujet ? Je pense qu’on est au début de quelque chose. D’abord, je n’aime pas trop le terme de décroissance car quand on décroît, quelque part on a l’impression de reculer. Je préfère parler de post-croissance, pour indiquer que le PIB ne peut plus être, aujourd’hui, le seul indicateur de la mesure économique. Il faut intégrer d’autres éléments sur le bien-être, et on le voit aujourd’hui - c’est à la fois une quête profonde des citoyens, dans les organisations et dans le travail. Il faut penser le monde différemment, et l’entreprise commence à se saisir de ces questions. Je me réfère à des économistes de renom qui pensent les mutations, et pas forcément des décroissants. Ils montrent que la croissance verte a ses limites, car dans un monde aux ressources limitées, on voit bien que croître, même en faisant évoluer son modèle économique pour intégrer un volet vert, ce n’est pas suffisant. Il faut se poser la question de la circularité de nos économies, de la façon dont on rend les modèles plus soutenables. Dans certains endroits, comment fonctionner pour croître davantage car il y en a besoin - dans les énergies renouvelables par exemple ? Et comment dans d’autres secteurs, décroître ? Je ne fais que confirmer ce qui se passe aujourd’hui avec l’industrie du futur, de nouveaux process se mettent en place pour décarboner l’industrie, et quand on fait cela, qu’on fait évoluer le business model d’un industriel en France, on est déjà sur une forme de post-croissance. On intègre le fait de repenser des modèles différemment. Vous parlez de bien-être au travail, c’est un sujet qui est majeur aujourd’hui, et ce depuis les périodes de confinement. La remise en question est inévitable ? Oui, il y a une vraie aspiration des salariés et des demandeurs d’emploi, à davantage de sens au travail. Cela pose des enjeux majeurs dans l’attractivité des métiers. Comment se remet-on en question lorsqu’on est un employeur ? On sort d’une période de 30 ans, portée par le culte de la performance au travail avec une logique d’indicateurs, sur lesquels les managers étaient axés. Je ne dis pas qu’il ne faut plus regarder ces indicateurs, mais qu’il faut prendre en considération des éléments un peu nouveaux, qui permettent de projeter l’entreprise dans une performance durable, dans une logique de prévention, d’anticipation. Pour éviter des phénomènes de surcharge, d’injonctions paradoxales ou de fatigues. On a besoin de repenser les pratiques managériales, au regard de la performance globale, qui intègre la performance durable.Œuvrer pour l'intérêt généralTout cela, ce sont des constats que vous dressez. Concrètement, comment allez-vous vous en saisir ? On a projeté des pistes assez précises sur nos segments d’activité, que sont la formation, la communication et l’événementiel. Mon ambition est de positionner le CECA comme le lieu qui favorise la transformation des leaders, dans l’ensemble des dimensions que l’on évoque. Ici à Bordeaux, ça va sans dire, mais aussi plus largement en Nouvelle-Aquitaine voire au-delà si des opportunités nous le permettent. Le CECA, demain, sera « trois en un » - un think tank qui aide à réfléchir, un organisme de formation qui aide à agir, et une agence de communication qui aide à valoriser ce que les entreprises font, pour qu’elles soit des acteurs de l’intérêt général et des intérêts sociétaux. Notre plan stratégique prendra effet dès cet automne, l’université d’été en sera la rampe de lancement même si ce n’est pas le lieu adapté pour démarrer notre stratégie, mais pour continuer à identifier les besoins et tester nos approches. Vous mentionnez l’intérêt général que doivent servir les entreprises, c’est désormais indispensable selon vous ? Oui, c’est nouveau, mais le positionnement sociétal des entreprises devient majeur. Il ne s’agit plus seulement de chercher du profit, mais de devenir profitable, d’être une entreprise citoyenne, d’une certaine façon. En ce sens, le CECA veut être le point de départ d’une communauté de leaders humanistes et engagés. Cela a toujours été un peu le cas, mais nous devons l’affirmer davantage. Il y a un certain nombre d’acteurs avec qui j’ai envie de travailler, notamment des entreprises engagées, à impact. Je m’intéresse aussi au monde de la tech, de l’économie sociale et solidaire, de la responsabilité territoriale des entreprises [ndlr, RTE]. Ce point, pour moi, est majeur. Je suis avec intérêt les travaux de Timothée Duverger et de Maryline Filippi sur le sujet, et si le CECA peut être un lieu dans lequel s’exprime de façon opérationnelle la question de la RTE des entreprises, j’en serais très heureux.L’université d’été du CECA se déroulera les 29 et 30 août au Château Smith Haut Lafitte, en Gironde. Le thème de cette édition sera « Héritages et mutations ». 13 conférenciers se succéderont durant deux jours, parmi lesquels le journaliste et éditorialiste Christophe Barbier, le directeur général de Nexans Christopher Guérin, ou encore l’écrivain et voyageur Sylvain Tesson. « En adressant cette thématique, nous interrogeons la place des entreprises et des organisations dans leurs identités et leurs valeurs », présente le CECA. « C’est un marqueur fort de ce que nous voulons porter, se réjouit Sébastien Darrigrand. Pour nous, c’est le rendez-vous des leaders humanistes dans la région. »