Insertion professionnelle : la ferme Deux Bouts, un modèle de maraîchage bio qui espère essaimer - Premium

Mettre sur pied une structure d’insertion professionnelle par l’activité économique qui soit efficace, tout en se finançant en grande partie par elle-même. Le défi, de taille, est celui que portent depuis 2019 Stéphane Boutin et Nicolas Chastel. Le premier est un « entrepreneur un peu tardif », qui après une carrière dans le monde corporate de la gestion de projets dans la finance, décide à 40 ans de monter sa propre société - PSQ -, spécialiste de la collecte de données. Le second est l’un des salariés de ladite société. « Avec Nicolas, on avait la volonté commune de créer une association pour répondre au fléau qu’est le sans-abrisme en France, se remémore d’abord Stéphane Boutin. Je n’ai jamais soutenu d’associations car j’aime savoir où l’argent va, mais je me suis toujours dit qu’un jour je ferai quelque chose. » Le chef d’entreprise et son salarié, désormais associés, décident de se lancer en 2017. Si le premier porte une vision basée sur le bénévolat, le second imagine une structure nécessitant de vrais investissements. « Au début nous nous sommes lancés à ma manière, et aujourd’hui nous sommes passés au format professionnel », reconnaît en souriant notre interlocuteur.L’activité de l’association Deux Bouts démarre dans l’intermédiation locative, après avoir obtenu un agrément de l’Etat, et la structure atteint même les 16 logements occupés, sur Libourne. « Normalement, il y a des mesures financières qui vont avec pour que l’on soit viable. Or, ces soutiens, on ne les a jamais eu, grince Stéphane Boutin. Nous étions une petite association, nous cherchions des financements privés principalement, mais à un moment ce n’était plus tenable. » Les fondateurs décident de se restructurer, arrêtent les logements et réduisent drastiquement leur activité.Reprendre goût au travailFinalement, « nous nous sommes vraiment lancés en 2019 », raconte aujourd’hui Stéphane Boutin. Car Nicolas Chastel est un ancien maraîcher bio, qui exerçait sur la commune de Vayres. Il imagine alors un projet d’accompagnement par l’activité économique, et répond à un appel à projets national de la MSA - la sécurité sociale agricole. « Nous avons été parmi les 25 lauréats, sur le sujet “Inclusion et ruralité”, reprend notre interlocuteur. Cela nous a permis d’aller capter des financements pour notre projet, d’ailleurs aujourd’hui on est toujours accompagné par la MSA. » De quoi donner un coup de pouce à l’association, dont la ferme agro-écologique s’étend aujourd’hui sur deux hectares - dont 2.000 m² de serre. Une trentaine de variétés de légumes y sont cultivés, complétés par des arbustes en agro-foresterie.« Nous employons 4,5 ETP, se réjouit Stéphane Boutin. Ils encadrent des bénéficiaires, 16 actuellement, dans la recherche de stages, pour trouver leurs centres d’intérêt et réaliser des évaluations de poste. La ferme doit leur permettre de reprendre goût au travail, de retrouver l’habitude d’horaires par exemple. » Et si l’intermédiation n’est plus l’activité principale de Deux Bouts, l’association compte huit logements dans lesquels elle peut installer ses bénéficiaires les deux années de passage à la ferme. « À nos débuts, on s’est pris de plein fouet la complexité d’accompagner du public sans abri car il y a tout un tas de problématiques d’addictions, de violences. Depuis deux ans, on s’est réorienté vers un public un peu moins éloigné du retour à l’emploi », souligne néanmoins Stéphane Boutin. Ainsi, 80% des bénéficiaires sont aujourd’hui au RSA.150.000 euros de CA, le prix de l'autonomieSi la structure s’appuie sur des subventions publiques pour payer les salaires de ses bénéficiaires, elle cherche à s’émanciper de toute forme de dépendance pour payer ceux de ses salariés. Une mission qui demande du temps, mais qui pourrait à terme porter ses fruits. « Cette année, on aura produit une quinzaine de tonnes de légumes, souligne le cofondateur. On espère atteindre les 60.000 euros de chiffre d’affaires, contre environ 40.000 euros l’an passé. » Outre la vente directe et la présence sur les marchés locaux, Deux Bouts écoule également ses produits auprès de la restauration collective. « Par exemple, on livre à l’EHPAD du coin en brouette. C’est vraiment du circuit court », rigole notre interlocuteur.Pour atteindre l'autonomie visée, la structure devra générer près de 150.000 euros de chiffre d’affaires. « Ce sera compliqué, on le sait, précise Stéphane Boutin. On va chercher à diversifier nos leviers financiers en vendant du service, par exemple - des visites payantes de la ferme, pourquoi pas… » Autant de pistes que Deux Bouts est en train d’étudier, en plus d’une optimisation de sa production agricole. « C’est le plus compliqué car on est une petite ferme, l’équilibre économique est difficile à trouver. »Malgré les nombreux défis, le modèle de l’association semble plaire et cette dernière espère ouvrir de nouvelles fermes, qui généreraient chacune trois ETP : deux accompagnants, technique et socioprofessionnel, et un directeur. « L’an prochain on ouvrira un nouveau site à Génissac, se réjouit Stéphane Boutin. Nous faisons appel aux grands donateurs, car il nous faut 50.000 euros pour démarrer l'activité : couvrir les salaires sur trois ans le temps que la production soit suffisante, et investir dans le matériel nécessaire. » Et de conclure : « Notre objectif, notamment avec la CALI [ndlr, Communauté d’agglomération du Libournais], c’est de produire pour la restauration collective mais aussi pour les populations locales. Les communes de Saint-Loubès, Saint-André-de-Cubzac nous ont aussi approchés. On sent qu’il y a un vrai engouement. »Deux BoutsAssociation créée en 2017Basée à Vayres4,5 ETPCA 2023 : 40.000€ / prévisionnel 2024 : 60.000€